Blog « Traces et Mémoire »

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L’après bataille, comment s’organise la reconstruction ?

17
Déc
2014

Par 17 décembre 2014 Catégories 2ème Guerre mondiale, Faits et sites historiques commentaires

L’article précédent intitulé « La reconstruction d’après-guerre, l’enquête d’un journaliste de l’époque » a attisé ma curiosité. J’ai voulu en savoir davantage sur les acteurs, la législation et les problèmes rencontrés lors de ce redressement de l’Ardenne. Il est vrai que les livres consacrés à la bataille relatent, pour la plupart, des faits d’armes et des actions militaires. Peu, par contre, traitent de l’après-guerre, et de cette reconstruction des territoires anéantis.

Au travers de documents d’archives et de la recherche historique de Matthieu Billa (voir sources), découvrez comment les villages ardennais ont progressivement, et non sans labeur et contrainte, retrouvé leur silhouette d’avant-guerre.

Redonner un visage à un pays anéanti

En cette année 1945, toute la Belgique est à reconstruire pour la deuxième fois en 20 ans. Les dégâts matériels sont aussi conséquents que ceux de la Première Guerre mondiale, à la différence qu’ils s’étendent bien au-delà des régions dévastées en 14-18. Les Pays-Bas et l’Angleterre doivent également faire face à des dommages massifs notamment en raison des bombardements.

En ce qui concerne la Belgique, le dossier remis à la Conférence des réparations de 1945 évalue à 14 milliards de francs belges les dommages causés aux immeubles d’habitations, à 2.650 millions ceux causés aux immeubles des industries et du commerce et à 3 milliards ceux occasionnés aux stocks et aux matériaux. Quant aux préjudices sur les meubles et objets personnels, la somme est estimée à 7.5 milliards de francs belges.

Chaque pays va donc établir, à la fin du conflit, des législations différentes fixant les modalités d’indemnisation et le mode de financement nécessaire. Seules la France et la Belgique peuvent se fonder sur leur arrêté fixé au lendemain de la Première Guerre. Les méthodes varient mais elles ont toutes pour but à la fois une réparation équitable du préjudice subi et la remise en état des biens endommagés.

Comment le Luxembourg belge va-t-il supporter la détresse de la population?

La place du Bronze La Roche ©J.-M. Bodelet

La place du Bronze La Roche © J.-M. Bodelet

Indemnisation et financement

Le principe de la réparation des dommages de guerre aux biens privés est admis dans un projet de loi déposé par le Ministère de la Reconstruction (fondé en mars 1946) en septembre 1946. Il concerne tous les biens corporels, meubles et immeubles. Les objets de luxe ne sont, quant à eux, pas indemnisés, sauf s’ils ont un caractère indispensable ou utilitaire dans le cadre d’une profession par exemple.

Ainsi les timbres-poste d’un collectionneur ne sont pas susceptibles d’indemnisation, alors que le stock de timbres d’un marchant sera compensé.

Le système calcule l’indemnité d’après la valeur avant guerre des biens et lui applique des coefficients tenant compte de la situation de fortune des sinistrés. Il s’adapte donc à toutes les situations sociales et ce sont principalement les moins fortunés qui sont intégralement remboursés.

L’octroi des compensation et des crédits est cependant réglé par un régime de priorité qui fait cas de la situation des intéressés, de l’état du marché de la main-d’œuvre et des matériaux, des possibilités du Trésor et de l’intérêt économique du pays.

Mais comment la Belgique se procure-t-elle les sommes nécessaires au payement de toutes ces compensations? Grâce à l’emprunt qui comporte néanmoins des inconvénients non négligeables tels que l’augmentation de la dette publique ou le risque d’inflation monétaire.

Les dégâts supportés par les Ardennais

En 1945, le juriste et sociologue Giovanni Hoyois dresse un bilan « des dégâts » concernant la province de Luxembourg, à savoir la destruction ou l’endommagement de 12.577 habitations et le décès de 1.282 civils. Il faut également tenir compte de la disparition de nombreux édifices de culte ou de bâtiments publics (commune, école, etc.). Dans les trois arrondissements touchés par la bataille (Bastogne, Marche-en-Famenne et Neufchâteau), 33% de la population serait sinistrée.

En plus d’être sans logement, les villages ardennais subissent de plein fouet les conséquences d’un temps glacial puis humide. Les habitants vivent dans des caves, des étables, des granges ou dans leur maison à moitié effondrée. Les maladies se répandent comme une trainée de poudre (diphtérie, pneumonie, etc.) dont certaines sont dues à l’absence d’hygiène et de sanitaires (poux, gale, dysenterie, etc.). La contagion est d’autant plus rapide que les personnes n’osent pas s’éloigner de la localité car les champs et les forêts sont infestés d’explosifs et de pièges.

La mortalité infantile y est également élevée en raison de l’absence d’hôpitaux, de sanatorium, de maternité ou d’accoucheuses.

De plus, la très grande majorité des routes et des voies ferrées sont à présent impraticables, isolant encore plus la province du reste du pays et surtout des ravitaillements. Le moral est donc au plus bas si on ajoute, en plus, la perte d’un proche ou l’absence de nouvelles.

La Roche près du pont ©J.-M. Bodelet

La Roche près du pont © J.-M. Bodelet

La restauration d’après-guerre au Luxembourg belge

Il convient de distinguer l’étape de la « restauration » de celle de la « reconstruction » qui sont néanmoins successives. Les premières années d’après-guerre sont généralement dédiées à la restauration. Les sinistrés cherchent à conserver les bâtiments toujours debout par l’exécution de différents travaux. Tandis que la période de reconstruction, qui vise l’érection de nouveaux édifices, débute massivement à partir de 1948.

Le relèvement de la province se développe donc en plusieurs phases et mobilise de très nombreux acteurs et institutions. Dès les premières semaines de 1945, l’Etat, représenté par diverses administrations, organismes spécialisés et personnalités influentes, se mobilise en faveur des populations endeuillées de l’Ardenne avec l’aide, dans un premier temps, des troupes alliées (déblayement des routes, enterrement des victimes, approvisionnement, etc.). L’Etat tient compte de la situation très difficile et problématique du Luxembourg. Il octroie notamment un crédit supplémentaire de 10 millions de francs à la province et constitue un contingent de marchandises prioritaires.

Les autorités centrales déchargent leur responsabilité sur le Haut commissariat à la défense de la population civile qui joue un rôle crucial en tant que coordinateur et contrôleur. Deux départements ministériels sont responsables des sinistrés, le ministère des Travaux Publics et de la Reconstruction.

Parmi les autres organisations, nous pouvons citer le Haut commissariat à la Sécurité de l’Etat (missions d’information et de liaison); le Fonds national de Secours aux Sinistrés (matériel); la Croix-Rouge (hygiène, soins de santé, vivres); le Secours d’Hiver (vêtements); le Service d’Enlèvement et de Destruction des Engins explosifs et Obstacles (déminage); etc.

Quant aux communes et administrations publiques de la province, la désorganisation règne après la capitulation (destruction des bâtiments et des moyens de transport, rupture des communications, etc.) mais cela ne les empêche pas de créer, au fil des années, de nombreuses initiatives pour leur population avec l’aide de citoyens bénévoles. De plus, les paroisses, les écoles, les troupes de scouts, les associations locales jouent un grand rôle dans cette reconstruction en organisant de nombreuses activités (concerts, matchs de football, etc.) pour récolter des fonds.

L’invitation à faire des dons en nature ou en argent est relayée par la presse et par l’ancien ministre Julius Hoste qui demande aux villes et communes flamandes d’adopter leurs sœurs wallonnes, ce qui sera un succès.

La situation sur le terrain

L’évaluation des dommages déterminant le montant des avances peut, dans certains cas, poser problème. Le sinistré reçoit une somme sur base de la valeur de son bien endommagé en 1939 et certains experts diminuent arbitrairement cette base si bien que le sinistré se retrouve perdant. Dans d’autres cas, c’est ce dernier qui tente d’exagérer le montant pour obtenir davantage. C’est pourquoi, pour éviter d’autres fraudes, les bénéficiaires d’une indemnité sont obligés d’utiliser la somme ou le crédit octroyés à la réparation ou à la reconstruction des biens. Ils sont tenus également de rebâtir dans leur localité d’origine. Les travaux entrepris peuvent aussi poser problème comme par exemple la démolition inutile d’immeubles, une mauvaise rénovation, etc.

De manière générale, les populations se plaignent de la lenteur des travaux. Pourtant, au début de l’année 46, 433.010.000 francs belges ont été investis dans la province pour l’installation de pavillons et la réparation sommaire des habitations. De plus, dès 1945, 1.146 baraquements en bois (200 pour Houffalize et 80 pour La Roche) ont été construits pour loger les sinistrés et 225 autres pour le bétail. Cependant, le confort laisse fortement à désirer car ils ne sont pas adaptés aux hivers ardennais. Certains devaient d’ailleurs être envoyés au Congo belge. À La Roche par exemple, les deux principaux quartiers d’habitations provisoires prennent les noms de Boda et Matadi, noms de deux grandes villes portuaires congolaises.

Les baraquements rochois ©

Les baraquements rochois © Le Soir Illustré, 1946

D’où vient cette lenteur dans la construction? Tout d’abord, l’absence d’une loi précise sur les dommages de guerre (il faut attendre 1947), la pénurie des matériaux et la difficulté de leur acheminement (mauvais état des routes), le manque de main-d’œuvre (les hommes sont toujours retenus en Allemagne), les problèmes financiers et le fonctionnement de l’appareil administratif.

L’embellie après 1948

La situation commence véritablement à changer à partir de 1948. La reconstruction prend alors son essor et les gros travaux de restauration se terminent globalement l’année suivante. Il a fallu attendre que la loi sur les dommages de guerre montre ses effets positifs pour que les opérations soient véritablement lancées. L’aide américaine dans le cadre du Plan Marshall a également contribué à ce nouveau démarrage. Cependant, les Ardennais devront encore attendre plusieurs années avant de se familiariser avec leur nouvelle habitation et surtout, avec leur nouvelle vie.

Houffalize aujourd'hui ©P. Willems

Houffalize aujourd’hui © FTLB/ P. Willems

Fanny Lardot, FTLB

Sources

– « Les dommages de guerre: étude comparée en France, Grande-Bretagne, Belgique et Pays-Bas », in Etudes et conjoncture – Economie mondiale, n°12, 1947, p. 69-100.
– Billa Matthieu, « La restauration de l’Ardenne sinistrée 1945-1948 », in Segnia, Hors série n°10, 2014.

2 commentaires pour “L’après bataille, comment s’organise la reconstruction ?

de Barsy Bernard dit :

Bonjour je recherche des photo du village de Flamisoul avant la guerre et après l’offensive des Ardennes.
Auriez-vous des photos ou des contacts à me conseiller?

Merci

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